Ce
sont tous ces morceaux de vies tellement séduisants qui tout à coup montrent
leurs aspects les plus disgracieux. Il s’est surpris à se désintéresser de tout
ce qui lui semblait pourtant captivant au départ. Comme une lassitude dès que
le mystère est percé, mis à nu, intégré. C’est un mal qui s’insinue
sournoisement, au plus profond du cœur, par un battement soudain où se mêlent
l’ennui et le dégoût. L’étonnement s’est enfui. La passion s’est estompée. La
paresse s’est imposée. Il n’y a plus de brèches merveilleuses à découvrir. Le
tour a été fait. L’interrogation peut commencer. Il la connaît par cœur. Il
pourra la réciter jusqu’à la tombée du jour. Il parlera de ses centres
d’intérêt, mais en oubliant l’étincelle qu’elle a au fond des yeux quand elle
prend son tricot, le soir, devant son écran. Il mettra en avant ses qualités
évidentes, mais sans se rappeler le pouvoir d’attraction qui l’avait mené à la
conquérir. Parce que oui, c’est le mot. Comme un territoire inexploré, il a été
à tâtons à sa rencontre pour découvrir les trésors qu’elle cachait derrière ses
secrets. Il a avancé prudemment pour éviter les risques. Il s’est glissé entre
ses côtes pour aller planter le drapeau de sa victoire au centre de son cœur.
Celui-ci a alors accéléré sa folle cadence et s’est docilement soumis à son
envahisseur.
Il
est donc devenu maître de cette contrée. Le règne avait commencé. Au début, il
a tâché de garder la main mise sur son royaume. Il abusait des promesses et des
paroles tendres, gratifiant son sujet.
Puis, en fier dirigeant, il s’est octroyé une pause bien méritée. Les
étoiles qu’il avait déposées dans les yeux de la demoiselle brillaient de mille
feux. Pourquoi s’éteindraient-elles ? Dès lors, il entendait les demandes,
mais n’avait cure de les satisfaire. Il était bien sur ce trône massif, solide,
confortable. Alors, le ciel a commencé à s’assombrir. La lumière des étoiles
devenait faible, lasses de
ne plus trouver l’amour et les douceurs auxquels le despote les avait
habituées. La belle se sentait soudain délaissée, dominée et méprisée. Sa joie
n’étant plus contagieuse et plus admise par Sa Majesté, son sourire devenait
terne. Elle était prise pour acquis, associée définitivement et sans recours à
celui qui n’avait plus aucun effort à fournir.
Ses
envies ? Elles devaient sans doute sonner faux pour qu’aucune d’elles ne soit
prise au sérieux par le seigneur des lieux. Ses ambitions ? Son bonheur
devenait peu à peu l’unique satisfaction de la personne qu’elle avait
délibérément aimée. Ses sentiments ? Ils s’estompaient jour après jour,
faute d’être ravivés… Son quotidien se remplissait de reproches, de distance et
de mélancolie. Le regret de ces flammes passionnées, véritables, authentiques
qui embrasaient son corps après leur première rencontre, la rendait amère. Elle
s’éloignait peu à peu. Cherchant dans l’horizon une reconnaissance qui lui
réinventerait – un peu – sa valeur véritable. Alors, elle s’impliquait dans ces
projets rocambolesques qui lui permettraient d’oublier la chute lente et
douloureuse de sa vie amoureuse. Elle sentait qu’il se détachait. Elle savait
que ses manies l’énervaient. À aucun moment, il ne lui en parlait. Ce silence,
pesant et violent, il l’avait instauré pour ne pas que la colère et la honte
noient la tendresse qu’il lui portait. Chacun des gestes qu’elle faisait lui paraissait
inapproprié. Intérieurement, il la traitait d’idiote. Lentement, il la
détestait. Non pas parce qu’elle était devenue une autre. Au contraire, parce
qu’il revoyait chaque trait qui l’avait séduit dans le passé. Et qu’à présent,
ceux-ci l’irritaient incroyablement. Non pas parce que ses sentiments
s’amenuisaient. Mais parce qu’au fond, sans dire un mot, il la sentait filer…
Et l’angoisse de la perdre l’empêchait de retrouver les mots et les gestes
qu’une femme espère.
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