22 déc. 2014

Folies passagères



Elle ne releva pas ces paroles. Une chose hideuse l’envahit… La honte. La honte de n’avoir jamais remarqué à quel point un homme souffrait de sa nonchalance. Un dégoût profond de n’avoir rien fait pour qu’il puisse se sentir mieux. Une déception de ne pas lui avoir dit dès le début qu’il ferait mieux de l’oublier. Il avait été là pour elle à chaque instant de sa minable vie d’artiste à deux sous, et elle, de son côté, elle n’avait même pas pu lui apporter un minimum de réconfort et de franchise pour qu’il trouve de la stabilité dans ses sentiments. Elle était gênée d’avoir joué avec lui comme elle l’avait fait pendant trop d’années. C’était horrible. Elle se répugnait, et les regrets arrivaient en masse. Comme si, pendant tout ce temps où il était resté souriant près d’elle à chacune de ses expositions, elle se rendait compte, enfin, qu’elle l’avait fait vivre dans son ombre. Que la seule chose qu’il aurait pu vouloir, c’était un remerciement, une parole, un sourire, un geste. De quoi lui montrer qu’il servait à quelque chose de rester là à souffrir. Elle se sentait plus égoïste que jamais… Moche d’avoir pu n’offrir que des espérances folles à celui qui, le premier, l’avait encouragé et poussé à croire en elle.

- Ne pense pas que je dis ça pour me justifier… mais… c’est plus difficile que tu ne le crois. Quand les gens qui t’entourent t’offrent leur vie, et que, de ton côté, tu n’as rien à échanger… Un cœur peut se remplir d’affection parce qu’il se vide de la sienne en la donnant à quelqu’un d’autre, en remplissant un autre cœur. Mais… c’est que… le mien ne se remplit pas. Il n’a jamais été plein, donc il n’a jamais pu donner aux autres. Il ne connaît rien aux bons sentiments et à la tendresse qui voudrait l’envahir. Il est fermé sur du vide. Cloîtré à l’intérieur de ma poitrine, on ne lui a jamais appris à s’ouvrir pour donner et recevoir. Evidemment, ceci ne pardonne en rien le mal que je peux faire autour de moi… mais explique le bien que je ne fais pas.

Il soupira en silence. Convaincu par la sincérité d’Eden Greenage, l’artiste au cœur en trou noir, aspirant affection et tendresse qu’elle recevait pour les faire disparaître dans l’infini. Peut-être était-ce pour cette raison qu’elle n’arrivait pas à se sentir à la hauteur de la personnalité publique qu’elle devait entretenir dans ce milieu. Peut-être était-ce pour cette même raison qu’elle n’avait pu achever ses études d’art. Sans sentiment, l’art peut-il exprimer quelque chose ? Un tableau vierge n’exprime-t-il pas mieux le vide qu’une peinture sans profondeur ? Il aurait voulu lui dire quelle psychopathe elle était de ne pouvoir ressentir d’amour et de délicatesse. Et puis, ses pensées s’entremêlèrent et il comprit qu’elle ne lui appartiendrait jamais. Non pas parce qu’elle était mariée, non. Parce qu’elle n’appartenait à personne, et que jamais elle n’appartiendrait à quiconque. Son cœur était solitaire et noir. Tant qu’elle l’envisagerait ainsi, rien ne changerait…

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