23 nov. 2016

Conquistador

Ce sont tous ces morceaux de vies tellement séduisants qui tout à coup montrent leurs aspects les plus disgracieux. Il s’est surpris à se désintéresser de tout ce qui lui semblait pourtant captivant au départ. Comme une lassitude dès que le mystère est percé, mis à nu, intégré. C’est un mal qui s’insinue sournoisement, au plus profond du cœur, par un battement soudain où se mêlent l’ennui et le dégoût. L’étonnement s’est enfui. La passion s’est estompée. La paresse s’est imposée. Il n’y a plus de brèches merveilleuses à découvrir. Le tour a été fait. L’interrogation peut commencer. Il la connaît par cœur. Il pourra la réciter jusqu’à la tombée du jour. Il parlera de ses centres d’intérêt, mais en oubliant l’étincelle qu’elle a au fond des yeux quand elle prend son tricot, le soir, devant son écran. Il mettra en avant ses qualités évidentes, mais sans se rappeler le pouvoir d’attraction qui l’avait mené à la conquérir. Parce que oui, c’est le mot. Comme un territoire inexploré, il a été à tâtons à sa rencontre pour découvrir les trésors qu’elle cachait derrière ses secrets. Il a avancé prudemment pour éviter les risques. Il s’est glissé entre ses côtes pour aller planter le drapeau de sa victoire au centre de son cœur. Celui-ci a alors accéléré sa folle cadence et s’est docilement soumis à son envahisseur.
Il est donc devenu maître de cette contrée. Le règne avait commencé. Au début, il a tâché de garder la main mise sur son royaume. Il abusait des promesses et des paroles tendres, gratifiant son sujet.  Puis, en fier dirigeant, il s’est octroyé une pause bien méritée. Les étoiles qu’il avait déposées dans les yeux de la demoiselle brillaient de mille feux. Pourquoi s’éteindraient-elles ? Dès lors, il entendait les demandes, mais n’avait cure de les satisfaire. Il était bien sur ce trône massif, solide, confortable. Alors, le ciel a commencé à s’assombrir. La lumière des étoiles devenait faible, lasses de ne plus trouver l’amour et les douceurs auxquels le despote les avait habituées. La belle se sentait soudain délaissée, dominée et méprisée. Sa joie n’étant plus contagieuse et plus admise par Sa Majesté, son sourire devenait terne. Elle était prise pour acquis, associée définitivement et sans recours à celui qui n’avait plus aucun effort à fournir.

Ses envies ? Elles devaient sans doute sonner faux pour qu’aucune d’elles ne soit prise au sérieux par le seigneur des lieux. Ses ambitions ? Son bonheur devenait peu à peu l’unique satisfaction de la personne qu’elle avait délibérément aimée. Ses sentiments ? Ils s’estompaient jour après jour, faute d’être ravivés… Son quotidien se remplissait de reproches, de distance et de mélancolie. Le regret de ces flammes passionnées, véritables, authentiques qui embrasaient son corps après leur première rencontre, la rendait amère. Elle s’éloignait peu à peu. Cherchant dans l’horizon une reconnaissance qui lui réinventerait – un peu – sa valeur véritable. Alors, elle s’impliquait dans ces projets rocambolesques qui lui permettraient d’oublier la chute lente et douloureuse de sa vie amoureuse. Elle sentait qu’il se détachait. Elle savait que ses manies l’énervaient. À aucun moment, il ne lui en parlait. Ce silence, pesant et violent, il l’avait instauré pour ne pas que la colère et la honte noient la tendresse qu’il lui portait. Chacun des gestes qu’elle faisait lui paraissait inapproprié. Intérieurement, il la traitait d’idiote. Lentement, il la détestait. Non pas parce qu’elle était devenue une autre. Au contraire, parce qu’il revoyait chaque trait qui l’avait séduit dans le passé. Et qu’à présent, ceux-ci l’irritaient incroyablement. Non pas parce que ses sentiments s’amenuisaient. Mais parce qu’au fond, sans dire un mot, il la sentait filer… Et l’angoisse de la perdre l’empêchait de retrouver les mots et les gestes qu’une femme espère. 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire