21 déc. 2016

Gaufres parfum solitude

(Nouvelle publiée en 2014 pour le CE1D - lien vers le texte intégral) 

C’est une grande dame aux cheveux courts qui vient de l’emmener ici. Elle essaye d’être sympathique et attentionnée, mais le gamin s’en passe bien. Il boude ferme. Quelle conne celle-là ! Soi-disant elle sait ce qui est le mieux pour lui. Rien à foutre ! Ah ça non, il en a rien à foutre ! Il n’était pas trop mal chez lui. Puis, il avait la paix… Il s’était habitué à ce qu’on ne s’occupe pas de ses bêtises. Maintenant, à cause d’elle, tout le monde demande sans arrêt comment il va. C’est agaçant.
            Son visage est tout chiffonné. Il ne voulait pas qu’on vienne le chercher, faut le comprendre. Alors il a veillé une grande partie de la nuit, caché derrière l’armoire de sa chambre. Au petit matin, la dame toute propre et toute maquillée a sonné à la porte. Personne n’a daigné lui ouvrir. Pas par rébellion, non. Parce que son père, au gamin, était effondré dans le canapé, entouré de vidanges de toutes les couleurs. Les effluves fermentés se mêlaient à la fumée bleue, épaisse et stagnante, laissée par les dizaines de cigares usés.  Fallait voir la scène quand la bonne femme a ouvert sans y être invitée. D’abord ses paupières ont écrasé ses prunelles grises pour exprimer son dégoût. Puis, elle s’est dirigée vers l’ours endormi par l’alcool, et l’a sermonné sans qu’il puisse réagir.
            Aaron a donc suivi la grande dame. Elle lui explique qu’ici, au moins, il sera bien. Mais bon, lui, il se sentait pas plus mal avant. Il n’a rien connu d’autre, donc il s’est plutôt bien adapté aux douleurs et aux manques. Il n’a jamais imaginé que ça pouvait être mieux ailleurs. Puis, franchement, il s’en fout qu’on prenne soin de lui. Il n’y croit pas. Son père, même s’il n’est pas comme il faut, il en est quand même vachement fier. D’ailleurs, il devait lui offrir un vélo. Oui, demain, c’est son anniversaire.
*
            C’est par un matin bleu et chaud que la vieillesse est venue l’agresser. Elle s’est glissée derrière l’arthrose de ses genoux quand Amalia descendait les escaliers. Elle a dégringolé les marches sans que la servante de la mort lui permette de se retenir à la rampe. Celle-ci riait certainement de voir ce qu’elle venait d’accomplir. Amalia, désorientée, couchée sur le palier, commençait à sentir ses os fracturés à l’intérieur de ses jambes. Ce n’est que dans l’après-midi, quand sa fille lui a rendu visite, que celle-ci a pu décrocher le combiné du téléphone, et appeler une ambulance pour sa pauvre mère. 
 Suite à cette chute,  sa fille a décidé de l’emmener vivre chez elle, avec toute la petite famille. Elle ne veut pas laisser sa mère sénile vivre seule dans une maison qui n’est pas adaptée à son âge et à ses maux. D’autant plus que ses os n’ont visiblement pas l’intention de se ressouder. Amalia passe ses journées dans une chaise roulante inconfortable sans se plaindre. Reconnaissante envers sa fille, elle préfère se taire pour ne pas être la source de toutes les préoccupations.
Elle devient peu à peu un fardeau. Incontinente, et dépendante pour se laver et se mouvoir, la honte a commencé à la ronger peu à peu. Elle cache ses larmes quand sa fille la déshabille. Elle rougit à en avoir les joues en feu quand l’odeur de l’urine lui pique les narines. Elle feint de dormir devant la télévision, pour ne pas demander qu’on augmente le volume, et pour éviter les conversations autour des informations du JT qu’elle n’entend plus. Elle a peur d’avoir perdu toute dignité.
Consciente de son état, et ne voulant pas rendre ses proches responsables de son mal-être, elle commence doucement à faire semblant de perdre la tête… Tous les jours, elle se bat pour avoir l’air perdue, pour oublier le nom de ses petits-enfants. Oublier Fabian et Flavio. Elle se dit que c’est le meilleur moyen pour que la famille délègue son cas à du personnel spécialisé. Elle attend patiemment qu’ils se disent, tous, qu’ils ne savent plus quoi faire… Amalia veut que sa fille se décharge du poids qu’elle devient. 
Cela est arrivé un mardi. Lorsqu’au diner, la petite vieille a insulté son gendre et lui a envoyé son bout de viande au visage. Sa fille a décidé qu’elle finirait sa vie à la maison de retraite du quartier voisin.

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